9.

 

 

Le dimanche matin, la plupart des habitants d'Innocence se rassemblaient dans l'une ou l'autre des trois églises de la ville. L'église de la Rédemption accueillait les méthodistes, raflant ainsi une large part de la dévotion locale. Le lieu de culte consistait en un petit bâtiment cubique et grisâtre planté au milieu de la ville. Il avait été édifié en 1926 car, suite aux inondations de 1925, la première église méthodiste avait été balayée, ainsi que le révérend Scottsdale — et la sacristaine en compagnie de laquelle ce dernier contrevenait à plusieurs saints commandements.

A l'extrémité sud de la ville se dressait l'église de la Bible d'Innocence, où se retrouvaient les fidèles de couleur. Aucune loi divine ni humaine n'avait institué cette ségrégation raciale dans le domaine de la religion. Mais la tradition se révélait souvent plus puissante que la loi.

Chaque jour du Seigneur, les chants sacrés, portés par un chœur de voix sonores, se déversaient à flots de ses fenêtres, avec une clarté que les méthodistes ne pouvaient qu'envier.

Un pâté de maisons plus bas, en face de l'église de la Rédemption, se trouvait l'église luthérienne de la Trinité, célèbre pour ses ventes de gâteaux. Responsable en titre de ce commerce, Délia Duncan prétendait que c'était grâce aux bénéfices retirés de la vente des brownies et des tartes à la crème que sa communauté avait pu s'acheter la grande vitre teintée qui ornait la façade de l'édifice. Ce qui avait poussé Happy Fuller à organiser trois festins de poissons-chats pour assurer à l'Eglise de la Rédemption une devanture plus imposante encore.

Quant aux choristes de l'Eglise de la Bible, ils se contentaient de leurs carreaux clairs et de leurs voix pures.

Le dimanche à Innocence était donc un temps de prière, de recueillement et d'âpres compétitions. Le nom du Seigneur y tonnait depuis trois chaires à la fois, et le péché y était remis à sa place. Sur des bancs de bois dur, vieillards et enfants courbaient le chef sous la canicule tandis que les femmes agitaient frénétiquement leurs éventails. Les orgues beuglaient et les bébés braillaient. L'argent durement gagné coulait dans les sébiles, et la sueur sur les fronts.

En chacun de ces trois lieux saints, les prédicateurs, tête baissée, rappelaient à leurs ouailles le triste sort d'Edda Lou. Des prières étaient sollicitées pour Mavis Hatinger, pour son mari — Austin n'étant nommément cité dans aucune des églises — et pour les enfants qui leur restaient.

Assise sur le dernier banc de l'Eglise de la Rédemption, Mavis pleurait en silence, livide et bouleversée. Trois de ses cinq enfants l'avaient accompagnée. Vernon, qui avait hérité l'air taciturne et le mauvais caractère de son père, se tenait auprès de sa femme, Loretta. Cette dernière s'ingéniait à calmer leur bambin avec une tétine déchiquetée et force tressautements des genoux. Sa robe de coton se tendait à craquer sur son ventre de future parturiente.

Ruthanne se tenait sans mot dire à son côté, les yeux secs. Elle avait dix-huit ans — et déjà dix jours derrière elle depuis sa sortie du lycée Jefferson Davis. Elle regrettait la mort de sa sœur, même si elle ne l'avait jamais appréciée. Pour l'heure, coincée dans l'atmosphère suffocante de l'église, elle ne pouvait penser qu'à une chose : le temps qu'il lui faudrait pour rassembler suffisamment d'argent afin de quitter Innocence au plus vite.

Quant au jeune Cy, il s'ennuyait ferme et aurait voulu partir de là tout de suite. Ses pieds étaient retenus dans d'épaisses chaussures noires déjà trop justes, et son cou était irrité par l'amidon que sa mère avait vaporisé sur le col de sa chemise. Sa famille lui pesait, mais à quatorze ans, il n'avait d'autre choix que de la supporter.

Il exécrait surtout la manière dont le prédicateur laissait entendre qu'ils étaient bien à plaindre et qu'il fallait prier pour eux. Beaucoup trop de ses copains se trouvaient en ce moment dans l'église, et son visage s'empourprait chaque fois que l'un d'eux venait à lui jeter un coup d'œil par-dessus son épaule. Aussi éprouva-t-il un immense soulagement quand le service fut achevé et que chacun put se lever. Tandis que des dames empestant la lavande s'avançaient vers sa mère pour lui présenter leurs condoléances, il se faufila entre l'assise et le dossier du banc, et courut se griller une cigarette derrière chez Larsson.

Il se sentait dégoûté de tout. Sa sœur était morte, son père et son frère en prison. Sa mère, elle, ne faisait rien de plus que se tordre les mains et parler à ce type de l'Assistance juridique à Greenville. Quant à Vernon, il n'avait que la vengeance à la bouche, et Loretta acquiesçait à chacune de ses paroles — ce qu'elle avait appris à faire automatiquement pour s'épargner un coup de poing dans l'œil. Une sacrée bonne comédienne, cette Loretta.

Cy alluma l'une des trois Pall Mail qu'il avait chipées à Vernon et desserra son nœud de cravate.

Ruthanne était encore la plus sensée de toute la famille, se dit-il. Mais elle était constamment en train de compter son argent — exactement comme le Silas Marner de George Eliot. Cy savait qu'elle cachait son magot dans une boîte de serviettes hygiéniques — où jamais son père n'irait regarder. Mais parce qu'il avait un certain sens de la loyauté, et qu'il serait aussi ravi de la voir partir, il n'avait révélé ce secret à personne.

Il avait déjà conçu le projet de prendre lui-même la poudre d'escampette dès qu'il aurait son bac en poche. Il n'avait aucune chance d'aller à l'université, et comme il était doté d'un esprit vif et curieux, il en ressentait une très grande frustration. Mais il était aussi du genre pragmatique et savait prendre la vie comme elle venait.

Quoiqu'il ne trouvât encore aucun plaisir à fumer, il prit une nouvelle bouffée de tabac.

— Hé!

Jim March contourna prudemment le magasin de nouveautés. C'était un grand garçon dégingandé dont la peau avait la couleur de la mélasse. Tout comme Cy, il avait revêtu ses habits du dimanche.

— Qu'est-ce que tu fiches?

En vieux complice, il se laissa tomber à côté de Cy.

— J'en grille une. Et toi?

— Rien.

Heureux de se retrouver ensemble, ils se turent un moment.

— Je suis bien content que l'école soit finie, déclara enfin Jim.

— Ouais, renchérit Cy, qui aurait été fort gêné d'admettre le contraire. On a tout l'été devant nous maintenant.

En réalité, cela lui paraissait interminable.

— Tu vas prendre un job? lui demanda Jim.

Cy haussa les épaules.

— Je n'en ai pas en vue.

Jim replia soigneusement sa cravate écarlate et la rangea dans sa poche.

— Mon père est en train de travailler pour la Waverly, dit-il.

Il jugea plus délicat de ne pas préciser que ce dernier remplaçait les carreaux que le père de Cy avait cassés.

— Il va aussi lui repeindre toute sa maison. Je vais l'aider.

— Ta fortune est assurée, à ce que je vois.

— Tu parles ! répliqua Jim avec une grimace comique.

Il se mit à tracer des dessins dans la poussière.

— Cela dit, ça va me rapporter un peu d'argent de poche. J'ai déjà gagné deux dollars.

— C'est toujours plus que ce que j'ai.

Les lèvres plissées dans une moue dubitative, Jim jeta un coup d'œil à son ami. Ils n'étaient pas censés être amis, du moins pas selon le vieil Austin. Pourtant ils avaient réussi à le rester. En cachette.

— J'ai entendu dire que les Longstreet embauchaient pour leurs champs.

Cy eut un sursaut dépité et passa sa cigarette à Jim pour qu'il la finît.

— Mon père me tannerait le cuir si je m'approchais de Sweetwater.

— J'imagine.

Mais son père était en prison, se rappela soudain Cy. Et s'il pouvait se trouver un travail, il serait à même de commencer à amasser son propre trésor de guerre, exactement comme Ruthanne.

— Ils embauchent vraiment?

— A ce qu'on dit. Mlle Délia est à la vente de gâteaux. Tu peux aller à l'église le lui demander.

Il sourit à Cy.

— Ils ont des tartes au citron, là-bas, reprit-il. M'en prendrai bien pour deux dollars. Sûr que ça serait chouette de descendre avec de la tarte au citron au Gooseneck Creek pour y pêcher quelques poissons-chats.

— Sûr, admit Cy.

Il regarda son ami avec un lent sourire, étonnamment affectueux.

— Mais il faut que je t'aide à manger tes pâtisseries, autrement tu vas te faire mal à l'estomac.

 

Tandis que les deux garçons négociaient leurs parts de tarte, et que les femmes arboraient fièrement leur toilette du dimanche, Tucker se prélassait sur son lit dans un engourdissement bienheureux.

Il adorait le dimanche. Délia se trouvant en ville, et les autres étant encore endormis ou affalés quelque part devant leur journal, la maison était aussi silencieuse qu'une tombe.

Du temps de sa mère, c'était différent. A cette époque, le dimanche, toute la famille se mettait sur son trente et un pour aller s'aligner en bon ordre sur le premier banc de l'église. Sa mère sentait la lavande et portait le collier de perles de son aïeule.

Après la messe, on commentait amplement le sermon, puis on parlait du temps et des moissons. On s'extasiait sur les derniers-nés, on leur faisait risette. Les parents exhibaient fièrement leurs grands enfants venus leur rendre visite, et les adolescents profitaient de l'occasion pour partir flâner et se conter fleurette.

Enfin, le soir venu, on s'asseyait tous ensemble pour le repas dominical : au menu, jambons cuits en gelée, patates, feuilletés, haricots verts cuisinés et, parfois, un peu de tarte aux noix pécan. Et puis des fleurs, il y avait toujours des fleurs sur la table. Sa mère y veillait.

Ce jour-là, par égard pour elle, le père de Tucker ne touchait pas à sa bouteille de l'aube au crépuscule. Si bien que ces longs après-midi avaient rétrospectivement la consistance d'un rêve plaisant — illusion, certes, mais illusion réconfortante.

Tucker regrettait un peu ce temps-là. Néanmoins, c'était pour lui un grand bonheur de sommeiller dans une maison tranquille, avec le pépiement des oiseaux pour fond sonore, le bourdonnement du ventilateur brassant l'air de sa chambre et la réjouissante perspective de n'avoir aucun rendez-vous ni aucune corvée prévus pour la journée.

Au bruit d'un moteur, il se retourna sur son lit. Son mouvement réveilla en lui quelques douleurs. Il grogna et attendit que la gêne s'évanouît.

Un coup frappé à la porte l'obligea à ouvrir un œil. Ebloui par un rayon de soleil, il laissa échapper un soupir d'exaspération et envisagea un instant de faire le mort, espérant que Josie ou Dwayne allait s'occuper de l'importun. Mais la chambre de sa sœur était située de l'autre côté de la maison, et son frère aîné devait être tout aussi vaseux que la veille au soir, lorsqu'il l'avait repêché dans l'étang.

— Zut. Allez au diable.

Il enfonça sa tête sous l'oreiller et s'efforça de retrouver le sommeil. Les coups cessèrent bientôt. Il faillit s'en féliciter, lorsque la voix de Burke s'éleva sous sa fenêtre.

— Tucker, lève-toi. Il faut que je te parle. Bon sang, Tuck, c'est important!

— Dieu du ciel, c'est toujours important, marmonna-t-il en s'extirpant du lit.

Toutes ses plaies et ses contusions se remirent aussitôt à le lancer. D'une humeur massacrante, il se rendit sur la terrasse dans le plus simple appareil.

— Jésus...

Burke jeta sa cigarette et contempla longuement le corps de Tucker. C'était un festival de noir, de bleu et de jaune.

— Il t'a vraiment laminé, hein, fils?

— Est-ce que tu es venu me réveiller uniquement pour me faire part de cette éblouissante constatation ?

— Non, descends, je vais te dire pourquoi. Et puis mets-toi quelque chose sur le dos avant que je t'arrête pour outrage à la pudeur.

— Ça va, shérif.

Tucker revint en titubant dans la chambre, contempla ses draps froissés avec regret, puis enfila un pantalon de toile et chaussa ses lunettes de soleil. En matière d'habillement, il n'avait pas l'intention d'en faire plus.

Toujours irrité contre Burke, il prit quand même le temps d'aller dans la salle de bains se soulager la vessie et se brosser les dents.

— N'ai même pas avalé une foutue tasse de café, grommela-t-il en débouchant sous la véranda.

Le shérif était assis dans un des rocking-chairs. Vu l'aspect luisant de ses chaussures et la raideur de son col de chemise, il était évident qu'il venait tout droit de l'église.

— Désolé de te sortir du lit si tôt. Doit pas être plus de midi.

— Donne-moi donc une cigarette, mon salaud.

Burke obtempéra et attendit que Tucker eût satisfait sa petite manie.

— Tu crois vraiment que les raccourcir va te faire arrêter de fumer?

— Va savoir.

Tucker aspira une bouffée de tabac et, grimaçant sous la brûlure de la fumée, la recracha aussitôt.

— Alors, Burke, qu'est-ce qui me vaut ta visite?

Burke contemplait d'un air perplexe le massif de pivoines que Tucker avait essayé d'arranger.

— J'ai parlé au Dr Rubenstein tantôt. Il prenait son petit déjeuner au Chat 'N Chew. M'a fait signe d'entrer.

— Hmm, bougonna Tucker.

Tout cela le ramenait à son propre petit déjeuner. Peut-être qu'en manœuvrant habilement, songea-t-il, il pourrait convaincre Délia de lui préparer quelques gâteries.

— Il voulait me dire deux mots — certainement plus pour énerver Burns qu'autre chose. Il est très service-service — Burns, je veux dire. M'a presque remplacé au poste. Enfin, y a pas de mal.

— Toutes mes condoléances. Je peux retourner au lit, maintenant ?

— Tucker, c'est au sujet d'Edda Lou.

Burke tripotait son insigne de shérif. Il savait qu'il n'était pas parfaitement réglementaire de transmettre ainsi des informations à Tucker, d'autant que le FBI le considérait toujours comme suspect. Mais certaines formes de loyauté avaient des racines plus profondes que la loi.

— Il n'y avait pas d'enfant, Tuck.

— Hein?

— Elle n'était pas enceinte, reprit Burke en soupirant. C'est apparu durant l'autopsie. Il n'y avait pas d'enfant. Je pensais que tu avais le droit de le savoir.

La tête emplie d'un grondement soudain, Tucker fixa le bout de sa cigarette. Lorsqu'il reparla, ce fut d'une voix lente et circonspecte.

— Elle n'était pas enceinte?

— Non.

— Sûr et certain?

— Rubenstein sait ce qu'il dit, et selon lui elle ne l'était pas.

Les yeux clos, Tucker s'assit à son tour et se mit à se balancer. Il se rendait compte qu'une large part de son sentiment de culpabilité était liée à l'enfant. Mais il n'y avait pas d'enfant, il n'y en avait jamais eu, et le remords en lui se muait en une soudaine rancœur.

— Elle m'a menti.

— Je ne peux pas affirmer le contraire.

— Elle se tenait là, debout, devant tous ces gens, et elle m'a menti sur un sujet aussi grave.

Gêné, Burke se redressa.

— Tu devais le savoir. Ça ne me semblait pas bon que tu continues à penser que... Enfin, je me suis dit que tu devais le savoir.

Des remerciements ne lui paraissant pas une réaction appropriée, Tucker se contenta de hocher la tête. Il ne rouvrit les yeux que lorsqu'il entendit la voiture de patrouille repartir en vrombissant sur la longue allée sinueuse.

Il serra alors les poings. Une colère noire le soulevait, jaillissant du creux de son estomac, le submergeant de dégoût. Il reconnaissait ces symptômes et, en un autre temps, aurait pu s'en effrayer.

Il voulait casser quelque chose, le fracasser, le mettre en pièces, le pulvériser.

Une lueur sauvage passa dans son regard. Pris d'une subite impulsion, il rentra dans la maison et gravit en trombe l'escalier. Dans sa chambre, il prit ses clés et se défoula sur une lampe qu'il écrasa contre le mur. Puis il se saisit de sa chemise sur le bras du fauteuil et l'enfila à la diable tout en ressortant dans le couloir.

— Tuck?

Josie venait à sa rencontre, les yeux cernés, revêtue d'une nuisette de soie rouge.

— Tuck, j'ai quelque chose à te dire.

Tucker lui décocha un regard si farouche avant de se précipiter au bas de l'escalier qu'elle en fut aussitôt complètement réveillée. Elle courut à sa poursuite.

— Tuck! Attends...

Elle le rattrapa auprès de sa voiture, dont il venait d'ouvrir la portière à la volée.

— Tucker, qu'est-ce qui ne va pas?

Il l'écarta rudement tout en essayant de contenir sa rage.

— Fiche-moi la paix.

— Mais, mon chéri, je veux juste t'aider. On est frère et sœur, tous les deux.

Elle voulut lui prendre ses clés, et sentit avec stupeur les doigts de Tucker se refermer brutalement autour de son poignet.

— Fous-moi le camp, je te dis.

— Ecoute-moi seulement, lui cria-t-elle, les yeux brouillés de larmes. Tucker, je suis sortie avec le médecin l'autre soir. Le médecin du FBI.

La Porsche gronda. Elle se mit à hurler.

— Edda Lou n'était pas enceinte. Il n'y avait pas d'enfant, Tuck. C'était un piège, exactement comme je te l'avais dit.

Tucker tourna brusquement la tête, ses yeux rivés sur ceux de Josie.

— Je sais.

Il s'engagea dans l'allée en faisant éclater une gerbe de gravier.

Heurtée par un caillou, Josie poussa un cri de douleur et saisit son mollet blessé. Puis, furieuse, elle attrapa une poignée de gravillons qu'elle lança en direction de la voiture.

— Doux Jésus, qu'est-ce que c'est que tout ce raffut?

C'était la voix de Dwayne. Josie se retourna d'un bond, et aperçut son frère sous la véranda. Les mains en visière, il clignait des yeux, vêtu de son seul caleçon.

— Ce n'est rien, lui répondit Josie en soupirant.

Elle remonta les marches. Si elle ne pouvait plus rien faire pour Tucker, se dit-elle, du moins pouvait-elle s'occuper de Dwayne.

— Allons nous prendre un peu de café, mon chou.

 

Le volant vibrait sous les mains de Tucker lorsqu'il braqua pour prendre le chemin de la ville, et l'arrière de la voiture chassa sur le côté dans un crissement de pneus. Tout à sa fureur, il n'y accorda aucune attention.

Elle n'allait pas s'en tirer comme ça. Il tournait et retournait cette seule et unique pensée dans sa tête. Non, sacré bon sang, elle n'allait pas s'en tirer comme ça. Les mâchoires crispées, il appuya sur la pédale d'accélérateur et bondit jusqu'à cent trente.

Malgré les virages et les sinuosités de la route, il pouvait voir devant lui sur des kilomètres. Des ondes de chaleur s'élevaient du bitume zébré de traînées miroitantes, transformant les lointains en un mirage fluide. Il ne savait pas où il allait ainsi, ni ce qu'il comptait y faire. Mais ce serait fait, et maintenant.

Il referma une main sur le levier de vitesse, se préparant à rétrograder pour négocier le dernier virage avant la maison des McNair. Cependant, lorsqu'il voulut braquer, les roues restèrent bloquées. Il s'acharna sur le volant en jurant et n'eut que le temps d'enfoncer la pédale des freins. En vain.

 

Le visage protégé du soleil par un des chapeaux à large bord de sa grand-mère, Caroline s'attaquait aux pousses exubérantes qui débordaient sur l'allée. En dépit de la chaleur et des crampes qui lui raidissaient les bras, elle était aux anges. Le sécateur, affûté comme un rasoir, avait des poignées de bois patinées par le temps et l'usage. De plus, les gants de jardinage qu'elle avait enfilés la protégeaient contre les ampoules. Elle s'imaginait sa grand-mère portant ces mêmes gants, en train d'accomplir la même corvée domestique.

Elle savait qu'elle aurait pu attendre et confier la tâche à Toby. Mais elle se plaisait dans le soleil, la chaleur poussiéreuse et l'odeur acide des fourrés. Tout autour d'elle régnaient le chœur des oiseaux, la rumeur de l'après-midi, la pesanteur de la solitude. Et c'était précisément ce qu'elle désirait, songea-t-elle en frottant son épaule ankylosée, avant de trancher une plante grimpante de l'épaisseur de son pouce.

Soudain, elle entendit le rugissement d'un moteur de voiture. Avant même qu'elle eût porté la main à ses yeux pour regarder la tranche de route visible depuis le bout de son allée, elle sut qu'il s'agissait de Tucker. L'engin arrivait trop vite pour qu'elle pût s'y tromper, et elle reconnut bientôt le ronronnement puissant de la Porsche.

Un de ces jours, pensa-t-elle, une main sur la hanche, il allait en faire de la ferraille et atterrir à l'hôpital. D'ailleurs, s'il venait la voir, elle ne manquerait pas de le lui dire. Pourquoi diable les hommes...

Sa réflexion s'arrêta là. Un crissement aigu de gomme sur le bitume venait de s'élever. Elle entendit le cri poussé par le conducteur et, quoiqu'il exprimât plus de rage que de peur, elle se mit aussitôt à courir. Il y eut un fracas de verre brisé et de tôle froissée.

Elle se débarrassa vivement du sécateur. Hormis les battements furieux de son cœur, le seul bruit qui lui parvenait était la voix tonitruante du jeune Carl Perkins interdisant à tout le monde de marcher sur ses Blue Suede Shoes.

— Oh ! mon Dieu !

D'abord elle aperçut les deux tranchées parallèles creusées dans l'accotement herbu puis, l'instant d'après, la Porsche affalée contre le poteau où était naguère accrochée sa boîte aux lettres. Des débris de verre, éparpillés sur la route, scintillaient comme des brillants. Enfin elle vit Tucker couché sur le volant, et se précipita vers la voiture.

— Oh, Seigneur ! mon Dieu ! Tucker !

Terrifiée à l'idée de devoir le bouger, et voulant encore moins le laisser là, elle lui appliqua doucement la main sur le visage — et poussa un cri d'effroi quand il redressa brusquement la tête.

— Zut!

Elle prit trois inspirations frémissantes.

— Espèce d'imbécile ! J'ai cru que tu étais mort. Et tu devrais l'être, vu la manière dont tu roulais. Quand même, un grand garçon comme toi, dévaler la route comme un gamin déluré et irresponsable. Comment peux-tu...

— La ferme, Caro.

Il posa une main sur son front palpitant et découvrit qu'il saignait. Bon, se dit-il, voyons si le reste fonctionne. Il tâtonna à la recherche de la poignée. Caroline ouvrit la portière à la volée.

— Si tu n'étais pas blessé, je te casserais la figure.

Elle se pencha cependant vers lui pour l'aider à se remettre sur pied.

— Gare, s'écria-t-il, je ne suis pas d'humeur à tendre l'autre joue.

Sa vision se brouilla, ce qui le mit en rage. Il s'appuya sur le pare-chocs arrière, le seul qui fût encore intact.

— Eteins la radio, veux-tu ? Et récupère les clés.

En grommelant, la jeune femme coupa le moteur et retira les clés du tableau de bord.

— Tu as bousillé ma boîte aux lettres. Enfin, quand on pense qu'il aurait pu y avoir à la même place une deuxième voiture !

— Je t'en ferai poser une autre demain.

Elle passa un bras autour de sa taille pour le soutenir. La peur avait rendu sa voix mordante.

— C'est facile pour toi de réparer tes erreurs, hein ?

— La plupart, oui.

A ce rythme, songea-t-il, sa tête allait lui tomber des épaules. Et cela serait autrement moins facile à réparer. Caroline ne cessait de le bousculer en voulant le guider jusqu'à la maison. Sans compter la morsure aiguë du gravier sous ses pieds, qui lui rappelait qu'il avait négligé de se chausser avant de partir. Enfin, il sentait du sang couler le long de sa tempe.

— Laisse-moi, Caroline.

Sous cet accès de colère perçait une détresse qui alerta la jeune femme.

— Appuie-toi sur moi un peu plus, chuchota-t-elle. Je suis plus forte que j'en ai l'air.

— Sans doute, parce que tu sembles pouvoir être emportée par la première bonne brise venue.

La maison tremblait dans son champ de vision. Il eut peur de s'évanouir. Il cligna des yeux. Son coquard le lança suffisamment pour qu'il recouvrât ses esprits.

— Tu parais si fragile. Cela ne m'avait jamais frappé jusqu'ici.

— Ravie du compliment.

— Mais tu ne l'es pas. Tu es une dure, Caro, et tu es furax contre moi. Si tu pouvais seulement arrêter de hurler.

— Pardi, pourquoi hurlerais-je ?

La voix caverneuse de Tucker indiquait qu'il était sur le point de défaillir. « Maintiens-le en colère, se dit-elle, fais-lui remonter l'adrénaline. » C'était important : s'il tombait, elle ne serait pas capable de le relever.

— Crois bien qu'il m'aurait été indifférent de te voir finir en bouillie sur la chaussée. Seulement, la prochaine fois, je souhaiterais que tu agonises ailleurs que près de mon allée.

— Fais ce que j'ai pu. Faut que je m'assoie, mon chou.

— On est presque à la véranda, dit-elle en le traînant à moitié. Tu t'assoiras là-bas.

— Jamais aimé les femmes dominatrices.

— Eh bien, comme ça, tu me laisseras tranquille.

Quand ils furent arrivés sous la véranda, elle constata qu'il tenait encore debout; aussi l'entraîna-t-elle à l'intérieur.

— Tu as dit que je m'assoirais...

— J'ai menti.

Il eut un rire éteint et quelque peu lugubre.

— Comme toutes les femmes.

— Voilà, c'est bon.

Elle l'aida à s'installer sur le canapé au dossier orné d'un impact de balle. Après lui avoir étendu les jambes, elle lui cala la tête avec un coussin.

— Je vais appeler le Dr Shays, déclara-t-elle. Ensuite, je nettoierai tes plaies.

Il tendit la main vers la sienne mais ne put l'attraper. Son mouvement, cependant, arrêta la jeune femme.

— Ne l'appelle pas, dit-il. Un bleu de plus ou de moins...

— Tu pourrais avoir un traumatisme crânien.

— Bah. Tout ce qu'il fera, ce sera de me planter une aiguille quelque part. J'ai vraiment horreur des piqûres, tu sais?

Elle le savait, et comme de plus elle ne voulait pas le brusquer, elle hésita un instant. Il ne semblait pas avoir subi un choc trop violent, et était manifestement lucide.

— Bon, je désinfecte tes blessures et on avisera après.

— Et si tu m'apportais aussi un seau de glace avec une bière dedans?

— De la glace oui, de la bière non. Reste allongé.

— Jamais cette femme ne m'apportera une bière, marmonna Tucker. Je suis là à perdre mon sang, et tout ce qu'elle fait c'est me gronder comme une vieille rosse.

— J'ai entendu, lui lança Caroline depuis la cuisine.

— Comme toutes les autres.

Il referma les yeux avec un soupir, et ne les rouvrit que lorsqu'il sentit un linge glacé contre la plaie de son front.

— Comment peux-tu porter cet horrible chapeau? demanda-t-il.

— Il n'est pas horrible.

Caroline poussa un soupir de soulagement en s'apercevant que la blessure était bénigne.

— Mon chou, si toi tu l'as sur la tête, moi je l'ai sous les yeux, et je te certifie qu'il est horrible.

— Bon.

Irritée, elle envoya balader le chapeau et se saisit d'une bouteille de teinture d'iode qu'elle avait disposée sur la table avec le reste du contenu de son armoire à pharmacie.

Tucker considéra la bouteille d'un air sinistre.

— Non, pas ça.

— Allons, bébé.

Il lui prit le poignet en souriant.

— Je te trouve aussi très mignonne, tu sais.

— Ce n'était pas une invite.

Elle saisit la bouteille dans l'autre main et lui tamponna le front. Il couina et jura.

— Oh, du cran, Tucker!

— Tu pourrais au moins souffler dessus.

Ce qu'elle fit. Tucker en profita pour effleurer sa cuisse. Elle souffla une dernière fois sur la plaie et lui ôta sa main d'une petite claque.

— Jésus ! Un peu de déférence pour les blessés, je te prie.

— Reste tranquille, le temps que je te panse.

Elle coupa un morceau de gaze et le lui enroula autour du front.

— Et si tu te remets à avoir les mains baladeuses, je te file un coup de poing gros comme ça.

— Oui, m'dame.

Elle avait les doigts délicats, et en dehors de la migraine qui lui martelait le crâne, il se sentait considérablement mieux.

— As-tu d'autres blessures?

Sa peau fine avait la fraîcheur exquise des ondées.

— Peux pas dire. Si tu vérifiais?

Ignorant le ton égrillard de sa voix, Caroline lui déboutonna sa chemise.

— J'espère que cela t'apprendra... Oh, mon Dieu! Tucker !

Il rouvrit les yeux instantanément.

— Quoi ? Quoi ?

— Tu es tout noir et bleu.

Il remercia le ciel qu'elle ne lui eût pas découvert une côte défoncée.

— Ce sont de vieilles blessures, dit-il enfin. Austin.

— Eh bien, c'est ignoble.

L'horreur altérait sa voix, faisant ressembler ses yeux verts à des émeraudes.

— On devrait l'enfermer, ajouta-t-elle avec véhémence.

Tucker ne put se retenir de sourire.

— C'est fait, mon ange. A l'heure qu'il est, il croupit dans la prison du comté. Carl l'y a transféré hier.

Caroline posa délicatement les doigts sur ses côtes contusionnées.

— Il t'a bien esquinté.

Le sang de Tucker ne fit qu'un tour.

— Il n'est pas reparti le sourire aux lèvres, répliqua-t-il avec fierté.

— Ah bon. Alors tout va bien, n'est-ce pas?

Elle retira vivement sa main et déboucha un flacon d'antalgiques que le Dr Palamo lui avait prescrits pour ses migraines nerveuses.

— Les hommes sont tous des imbéciles.

Tucker se redressa précautionneusement sur ses coudes.

— Ce n'est pas moi qui ai commencé, c'est lui.

— Tais-toi et prends ça.

— Qu'est-ce?

— Un remède qui ne traitera pas ta migraine à la légère — car je suppose que tu as la migraine, n'est-ce pas?

Il prit le comprimé avec reconnaissance, mais n'en lut pas moins attentivement l'étiquette du flacon. Si cela le soulageait, se dit-il, il demanderait au Dr Shays de lui en réserver quelques flacons pour ses douleurs à venir. Caroline lui tendit un verre. Il avala le comprimé avec une gorgée d'eau.

— Aurai-je droit à ma bière si je suis capable de me tenir debout?

— Non.

Il reposa sa tête sur le coussin.

— Comme tu veux. Chérie, fais-moi au moins la grâce de téléphoner à Junior Talbot pour qu'il vienne remorquer la voiture.

— Je m'en occupe, dit-elle en se relevant.

Puis, avec un regard menaçant :

— Ne dors pas, surtout, ajouta-t-elle. On ne doit pas dormir lorsqu'on a eu un traumatisme crânien.

— Ah ! Pourquoi donc?

— Je ne sais pas, répondit-elle d'une voix vibrante de frustration. N'étant pas médecin, je répète seulement ce que tout le monde dit.

— Je ne m'endormirai pas si tu promets de revenir me tenir la main.

Caroline eut un haussement de sourcils.

— Si tu t'endors, j'appellerai le Dr Shays pour lui demander de venir avec sa plus grosse aiguille.

— Seigneur ! tu es une méchante.

Ses lèvres esquissèrent cependant un sourire tandis que la jeune femme ressortait de la pièce.

Caroline ne lui laissa que trois minutes pour caresser l'idée de tomber dans les bras de Morphée.

— Junior a dit qu'il arriverait dès que possible, lui annonça-t-elle en revenant avec un sac de glaçons.

Comme Tucker se contentait de grogner, elle lui appliqua le sac sur la tête, et le grognement se transforma bientôt en un long ah de gratitude.

— Je ne savais pas si je devais appeler ta famille.

— Non, plus tard. Délia reste en ville quelque temps encore. Je viens de me rappeler qu'elle s'occupe d'une vente de gâteaux aujourd'hui. Quant à Josie, elle n'est à même d'aller nulle part, surtout si Dwayne se réveille avec sa gueule de bois dominicale.

Seigneur, songea-t-il, qu'il était fatigué! Et cette fatigue n'avait rien de la langueur plaisante des après-midi oisifs; elle l'engourdissait jusqu'à la moelle des os.

— De toute manière, conclut-il, casser des voitures est une sorte de passe-temps familial.

Caroline le considéra en fronçant les sourcils. Comme il reprenait des couleurs, elle se sentit autorisée à lui demander une explication.

— Tu ferais mieux de te consacrer au croquet ou à la broderie. Où diable filais-tu ainsi ?

— Je ne sais pas. N'importe où.

— N'importe où n'est pas une réponse pour qui roule pieds nus à cent soixante kilomètres à l'heure.

— Cent trente. Tu exagères toujours.

— Tu aurais pu te tuer.

— Comme je me sentais d'humeur à tuer quelqu'un d'autre, c'eût été un moindre mal.

Il rouvrit les yeux. Caroline s'aperçut alors que les pilules magiques du bon Dr Palamo avaient accompli leur office. Le regard de Tucker, néanmoins, trahissait à présent quelque chose de plus profond que la douleur physique, de plus déchirant aussi.

— Que s'est-il passé?

— Il n'y avait pas d'enfant, s'entendit-il répondre.

— Pardon?

— Elle n'était pas enceinte. Elle m'a menti. Elle est venue me dire droit dans les yeux qu'elle attendait un enfant, et elle mentait.

Il fallut un moment à Caroline pour comprendre qu'il était en train de parler d'Edda Lou — cette même Edda Lou qu'elle avait retrouvée flottant dans l'étang.

— Je suis désolée.

Elle joignit les mains sur ses genoux, ne sachant que dire ni quel ton adopter.

Tucker ignorait pourquoi il lui racontait tout ça, mais maintenant qu'il avait commencé, il ne pouvait plus se contenir.

— Durant tous ces derniers temps... cela m'a rongé de repenser à sa mort. Edda Lou avait de l'importance pour moi, jadis. Elle signifiait quand même quelque chose pour moi. Alors repenser à tout ça, songer qu'une partie de moi-même était morte avec elle, c'était... mais il n'y avait rien de moi dans Edda Lou, rien d'autre que ce mensonge.

— Peut-être s'était-elle trompée. Peut-être croyait-elle être réellement enceinte.

Tucker eut un rire bref.

— Je n'ai pas couché avec elle pendant près de deux mois. Une femme comme Edda Lou fait terriblement attention à ce genre de choses. Elle savait.

Il referma les yeux pour les rouvrir aussitôt, une lueur rageuse dans le regard.

— Pourquoi est-ce que ça me rend dingue à ce point-là de savoir qu'il n'y avait pas d'enfant? Elle a menti, ce qui veut dire qu'aucun enfant n'est mort, et que je n'ai donc plus à me torturer là-dessus.

Caroline lui prit la main et, pour le réconforter, la porta à sa joue. Elle ne s'était pas rendu compte qu'il pouvait être la proie de sentiments si complexes et profonds.

— Quelquefois on se torture plus sur ce qui pourrait avoir été que sur ce qui est.

Tucker retourna sa paume contre la sienne. Leurs doigts s'entrelacèrent. Caroline avait les yeux les plus charmants et les plus tristes qu'il eût jamais vus.

— J'ai l'impression que tu sais de quoi je parle.

Elle sourit, et le laissa sans protester lui embrasser le dos de la main.

— C'est vrai, admit-elle.

Mais, prudente, elle s'écarta avant que sa peau ne frémît au contact de la sienne.

— Je vais aller voir si Junior est arrivé.

Tucker ne voulait pas rompre immédiatement le charme, pas tout de suite. Il se redressa avec effort.

— Et si nous y allions ensemble?

La pièce se mit à chavirer, lentement, puis retrouva sa stabilité.

— Il faudrait que tu me donnes la main, ajouta-t-il.

Caroline considéra un instant la main qu'il lui tendait. C'était pure folie, songea-t-elle, de croire qu'il lui demandait plus qu'un soutien momentané. Aussi refoula-t-elle cette impression passagère et lui offrit-elle la sienne.

 

 

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